Sujet(s): quelques mots autour de cette pièce

 

Des mots les uns à la suite des autres, et au fil des mots, un « je » qui se cherche, qui se dit, tantôt à tout bout de champ, tantôt en catimini, en interrogation : est-ce bien moi qui parle, moi qui pense ce que je parle ? Et ce moi, peut-il être compris dans un mot ? Un sujet incarné par un corps sur le plateau, puis deux, parlant et se déplaçant l’un après l’autre, l’un sur l’autre, l’un à la place de l’autre, tantôt sans s’entendre, tantôt sans se voir. Malgré tout, ce jeu de cache-cache aux situations absurdes conduit progressivement à la rencontre.

 

Sujet(s) est un texte comptine, un texte ronronnant. Et un prétexte : une spectatrice attend qu’enfin le spectacle démarre et un flot de parole jaillit de cette situation d’attente. Une seconde présence, au début peu identifiable, vient parasiter ce monologue. Les parasites, ce sont les questions.

 

Comment la parole se déclenche-t-elle de façon circonstancielle, faisant disparaître l’individu au profit de la situation, faisant ainsi oublier que ce sont les individus qui créent les situations, même les plus absurdes ?

 

« Vous avez l’exacte parfaite même forme

que mon rêve, il suffit juste  pour cela

que je vous démembre à peine »

 

Que serait un corps qui pourrait user du langage et non s'user par le langage, un langage qui serait corps ?

«  J’ai passé les frontières moi oui femme marchandise chèque ou comptant laissez-moi entrer passer la frontière en échange je marchande mon corps en pièces détachées uniquement »

 

Quel effet peut produire un « abracadabra » s’il n’est pas exprimé, incarné, par un porteur de magie ? 

 

« Il y a bien eu cette personne à qui j’ai donné mon cœur.

- Sept personnes ? Il n’yen a jamais eu qu’une peut-être je crois.

- Cette personne je peux dire que je l’ai aimée tant aimée que j’en ai fait personne ».

 

La parole devient alors un paysage sans relief ni couleur.

 

Il y a quelque chose de ce paysage dans le texte, une voix mécanique, programmée, réactive à la situation, à ce qui est bon d'être dit, dénuée d'engagement, d'adresse, de sens, de « je ».

Cette incarnation, la plupart du temps fulgurante, reste le point névralgique du travail de plateau: comment les intervenants (comédiennes, scénographe…) s’emparent-ils du texte écrit, et comment ce dernier se modifie-t-il, selon le moment présent, et la manière dont ce présent est vécu, intériorisé et recrée?

Nous tenterons au plateau de nous amuser à partir de ce texte, tel un tremplin de questionnements actuels.

 

A l’ère de la publicité et de la consommation de masse, l’image et le verbe s’imposent dans un flux incessant, nous enfermant dans une cage dorée dont nous pouvons difficilement nous échapper sans craindre une solitude encore plus forte. A l’ère de la révolution numérique et technologique, écrire une lettre à sa grand-mère, aimer et rompre sans écran interposé, ou encore croire au collectif,  sont actes de résistance. Si c’est là ce qu’on nomme « modernité », réjouissons-nous que le ridicule ne tue plus ! Cela nous laisse l’occasion d’en jouer et d’en rire.